Cette fois, c'est fait, Matt Elliott a fait un pas décisif en avant. Il est résolument passé dans la catégorie des singer-songwriter 'traditionnels'. L'assertion vaut une explication pour les non-initiés qui ne connaîtraient pas cette icône. Matt, c'était d'abord le pilier du groupe électronique bruitiste The Third Eye Foundation. Mis entre parenthèse en 2000 après Little Lost Souls, TEF n'en a pas moins ressorti le superbe The Dark en 2010.
Durant ces dix années, Matt Elliott s'est attelé à sa nouvelle vocation, à savoir sortir de son train-train électronique et privilégier un virage vers le chant et la composition. Exploitant notamment ses ascendances slaves, trois albums se sont alignés au fil des ans : Mess We Made (2003), Drinking Songs (2004) et Failing Songs (2006) et, en 2008, Howling Songs a clôturé la série. Quoiqu'il exprimait en interview qu'il était désormais un 'singer-songwriter', ces albums n'en puisaient pas moins allégrement leur originalité dans la juxtaposition d'un réel talent d'homme seul et d'une orchestration électronique.
C'était cela l'originalité de Matt Elliott, ces grandes divagations slaves où des fanfares ivres pouvaient vous tires des larmes au cours de crescendo troublants. Et il en va de même en concert où, cumulant loops et superposition en couches de voix, Matt Elliott occupait la place de tout un orchestre. Au même titre qu'un King Creosote, l'artiste un peu français (il y vit) est un pionnier d'un courant aujourd'hui fort pourvu et apprécié, celui des singer-songwriter électroniques. Plutôt que de folktronica, il s'agit bien de sing-tronica (voir aussi le travail de Peter Broderick avec différents chanteurs)...
Or, donc, cette fois, avec The Broken Man, Matt Elliott a fait le choix de couper (quasiment) toutes ses racines électroniques pour pratiquer un folk presque nu. On retrouve certes les choeurs travaillés et les montées en puissance, finement travaillées par la production de Yan Tiersen, ce qui explique la longueur inhabituelle des morceaux (certains flirtant avec les dix minutes). Mais, néanmoins, les trois premiers morceaux débutent par des pickings de guitare flamenco. Parfois, on croirait même entendre Leonard Cohen (qui, lui, pour son retour, ne nous fait pas du Matt Elliott) lors que le piano lui aussi contribue à des orchestrations minimales des chansons.
Matt Elliott est une icône. Certains l'adorent d'office n vertu d'une rigueur toute logique : ils étaient de ceux qui n'aimaient guère TEF. Je ne suis pas de ceux-là. Et, si je reconnais que cet album tape souvent fort haut et me touche parfois intensément, il me faut l'avouer aussi : parfois, je me suis ennuyé. Je ne suis pas certain que Matt Elliott ait choisi la meilleure voie. Mais cela ne concerne que moi, peut-être, cette sensation qu'il a perdu son identité singulière...
L'album est sorti officiellement et matériellement de ces jours-ci. Mais il est aussi toujours disponible sous sa forme de promotion digitale à deux euros.
Quelques chroniques, pas nécessairement sur la même longueur d'ondes.
Chroniques automatiques, Chroniques électroniques, Hop Blog, De La Lune, On Entend Tout, Le Golb
Rétroactivement, il est très intéressant de relire l'interview de Matt Elliott avec Interlignages sur le personnage à deux têtes qu'il se compose (composait?) entre électronique et chanson. Elle a été réalisée à l'occasion de la sortie du dernier Third Eye Fondation.
A écouter, une interview :
MATT ELLIOTT : A BROKEN MAN par streetgeneration